Interview de Bernard Ennuyer, sociologue : « La plupart des gens âgés vont bien ! »

, par Alain LEFEBVRE

Événement - FO Hebdo Interview de Bernard Ennuyer, sociologue : « La plupart des gens âgés vont bien ! »

mardi 31 janvier 2017 Françoise Lambert

Les politiques ont-ils pris la pleine mesure de la question du vieillissement ?

Bernard Ennuyer : On prend en compte le vieillissement en France depuis longtemps, depuis la Révolution, mais c’est toujours sous la forme d’une catastrophe. La politique stigmatise les vieux. La dernière loi sur la question est dite "relative à l’adaptation de la société au vieillissement". S’il faut adapter la société aux vieux, c’est qu’ils ne seraient pas capables de s’adapter ! Or c’est faux, les plus âgés continuent pour la plupart de suivre les évolutions sociales. La société doit arrêter de penser en termes d’infantilisation et d’assistance. Il serait plus juste de considérer les plus âgés comme des citoyens à part entière. Rappelons-nous que la plupart des gens dits âgés vont bien ! Seuls 10 % ont des problèmes de santé, cela veut dire que 90 % vont bien. Et passé 80 ans, quatre personnes sur cinq vont bien.

La loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement, qui est entrée en vigueur début 2016, ne contient-elle pas quelques bonnes mesures ?

Bernard Ennuyer : Quelques mesures importantes concernent l’accompagnement de la perte d’autonomie, mais il n’y avait pas besoin d’une loi. Il aurait suffi d’appliquer pleinement la loi handicap de 2005. Il existe en France une discrimination par l’âge. On n’est pas traité de la même manière à 59 ans ou à 60 ans. Or la prestation devrait varier en fonction de l’état de santé, pas en fonction de l’âge. Par ailleurs, l’augmentation du financement de l’APA [Allocation personnalisée d’autonomie, NDLR] ne couvre que 10 % à 20 % des besoins. Même les aspects positifs de cette loi ne sont pas financés correctement, c’est carton plein.

Si la vieillesse ne doit pas être une question d’âge, de quoi s’agit-il alors ?

Bernard Ennuyer : La vieillesse, c’est le résultat d’un parcours social. C’est avant tout la question d’un système social qui laisse des gens de côté, sans revenu suffisant à la retraite. Un rapport de la cour des comptes de juillet 2016, extrêmement sévère, et à juste titre, dit qu’aucun gouvernement n’a mis en place un système de maintien à domicile digne de ce nom. Aujourd’hui 80% de l’aide apportée l’est par des aidants informels. Si vous n’avez pas un fils ou une petite fille qui s’occupe de vous, c’est l’Ehpad, si vous en avez les moyens. Et dans les maisons de retraite, on manque de personnel bien formé, reconnu et correctement payé. La grande vieillesse révèle les inégalités sociales. Aujourd’hui, un cadre supérieur vit 10 ans de plus et en meilleure santé qu’un ouvrier.

Les retraités sont-ils un poids pour la société, comme on l’entend souvent ?

Bernard Ennuyer : C’est une idée reçue. La retraite, c’est un contrat social, on a cotisé et on perçoit un droit, en espérant que cela continuera pour les jeunes. C’est une vraie interrogation. En tant que citoyens les retraités doivent, je pense, se sentir responsables de la continuité de ce contrat social. L’individu n’existe que parce qu’il existe un collectif fort. Une société humaine n’a pas d’avenir si elle ne reste pas solidaire. Comme l’a si bien dit le sociologue allemand Norbert Elias, chacun d’entre nous a la possibilité d’être un individu singulier uniquement parce que nous possédons en nous une part d’individu collectif. La retraite, c’est aussi un flux monétaire qui est remis en circulation en direction d’autres générations. Il représente 14 % du PIB, c’est un des rouages non négligeables de l’économie. Depuis la crise de 2008, les grands-parents ont bien souvent permis à leurs enfants ou petits-enfants de s’en sortir.

On entend souvent dire aussi des retraités qu’ils sont des nantis…

Bernard Ennuyer : Les économistes disent que le pouvoir d’achat moyen des retraités est à peu près identique à celui des actifs, mais ce ne sera plus le cas dans dix ans. Il faut aussi souligner que cette moyenne cache de grandes disparités. Il y a aussi des retraités pauvres… Et s’il existe une véritable discrimination, elle se situe plus entre les hommes et les femmes. Un homme à la retraite perçoit 40% de plus qu’une femme et une femme se retrouve plus souvent seule en fin de vie.

Propos recueillis par Françoise Lambert

Bernard Ennuyer est notamment l’auteur des ouvrages Pratiques professionnelles en gérontologie, Les malentendus de la dépendance et Repenser le maintien à domicile, aux éditions Dunod.